Friday, January 31, 2014

Genève II annonce le retour imminent des jihadistes tunisiens

Guest contributor, Dr. Alaya Alani, is Professor of Contemporary History at al-Manouba University, Tunisia
 
Genève II ouvre des perspectives et donne une lueur d’espoir aux Syriens qui vivent au rythme du terrorisme depuis plus de trois ans. Cependant, le soulagement qu’ils connaîtraient prochainement avec l’éventuel cessez-le-feu et la fin des hostilités entre les belligérants aurait des effets néfastes sur d’autres peuples arabes dont le nôtre, et pour cause. L’une des retombées de ce congrès international, c’est le retour de nos jeunes jihadistes qui ont servi de combustibles à cette guerre fratricide. 

Ils seront, très bientôt, parmi nous, ce qui veut dire que la scène tunisienne risque fort de suppléer à celle de la Syrie d’autant plus que ces jhadistes ont acquis une expérience indéniable en matière de manipulation d’armes. Les filles parmi eux excellent dans les opérations suicidaires sans compter leurs prouesses dans le jihad du sexe. Donc, il faut s’attendre au débarquement de toute une armada terroriste, comme nous l’affirme note invité qui nous fait part, toutefois, des plans que le pouvoir politique devrait mettre à exécution afin de prévenir ce danger qui gangrène notre société et qui menace de nous faire vivre le syndrome syrien.  
               
-Le Temps : Les Etats Unis viennent de classer Ansar Charia comme étant une organisation terroriste, quelles en sont les répercussions en Tunisie et en Libye en cette période précise?

-M Allani : tout d’abord, cette décision découle de la conviction des Américains que ce courant commence à s’étendre et à menacer leurs intérêts d’autant plus qu’il a un agenda déclaré et un autre qui est occulté. Le premier consiste à lutter contre l’Occident comme le faisaient les Arabes afghans. Quant au second, il se rapporte au soutien des organisations jihadistes surtout ceux qui sont liés à Al Qaeda. Ensuite, le fait de cataloguer seulement Ansar Charia de l’Afrique du Nord et non pas ceux du Yémen et d’ailleurs est l’esquisse d’une mise en garde de ceux des autres pays qui sont, ainsi, avertis qu’ils connaîtraient le même sort si jamais ils oseraient toucher aux intérêts américains et occidentaux sachant que ce courant se trouve dans sept pays arabes. 

D’autre part, le classement de Ansar Charia de Tunisie comme un courant terroriste est une prémisse de démantèlement des camps d’entraînement établis comme des centres de recrutement des jihadistes pour la Syrie, ces centres n’ont plus de raison d’être, étant donné que la question syrienne est, dorénavant, soumise aux négociations et non plus à la guerre. Ce classement constitue, également, un début à l’encerclement des courants jihadistes de Libye après que les rapports solides entre l’islam politique et les jihadistes se sont clarifiés, ce qui est une entrave à l’épanouissement des courants libéraux comme il prépare la mise en place d’un noyau d’une armée et d’une police dont l’entraînement se fait actuellement à l’étranger. 

Ce noyau doit travailler dans de nouvelles conditions qui nécessitent la dissolution de plusieurs milices appartenant aux courants religieux. Il en découle que classer Ansar Charia de Libye comme une organisation terroriste est de nature à faciliter la tâche de constituer ces forces officielles qui dépendront directement à l’Etat et qui seront capables d’imposer la sécurité et la loi. Sur le plan interne, l’incrimination de ces jihadistes va permettre d’aplanir le terrain devant le Dialogue national, de créer des conditions favorables aux prochaines élections et d’installer des institutions démocratiques dans le pays.

-Comment vous expliquez le timing de la décision américaine?

-Il est significatif, car après la crise structurelle que connaît l’islam politique dans les pays du printemps arabe, les Occidentaux craignent que les organisations salafistes jihadistes n’occupent ce vide pour s’installer dans ces pays.  Et il y a des informations qui circulent selon lesquelles ces derniers seraient en train de recruter entre trois et quatre mille Tunisiens et Libyens pour les préparer à accomplir des attentats contre les intérêts occidentaux dans ces deux pays. 

Ce qu’on pourrait remarquer c’est que la coordination entre la Tunisie, l’Algérie et la Libye, qui a pris forme, dernièrement lors de la visite du premier ministre Sellal à la région, était concomitante à la décision de classement de Ansar Charia comme une organisation terroriste. Ce qui veut dire que l’opération de démantèlement du triangle jihadiste, mis en place après le printemps arabe et liant ces trois pays, a entamé sa phase décisive, et il se peut qu’aux prochains jours il y ait des arrestations de quelques symboles de ce courant.  

Mais il ne faut pas oublier que ces organisations jihadistes, dont l’effet peut se réduire, ne meurent pas et attendent toujours des conditions favorables pour reprendre à nouveau leurs activités ; et j’entends par là la faiblesse du pouvoir central, la propagation des manifestations de la marginalisation et de la misère, l’absence des libertés et la médiocrité de l’enseignement. Ce sont les conditions idéales de leur épanouissement.  

-Les informations se sont contredites à propos de l’arrestation de Abou Iyadh, le lieu de cette capture et les parties qui ont exécuté cette mission. Est-ce qu’il était arrêté ou pas, selon vous ?

-Cette question n’est pas importante en soi, ce qui important c’est de savoir, d’une part, pourquoi a-t-on annoncé son arrestation avant la fin d’année 2013, d’une part, et avant sa catégorisation comme terroriste de la part des Etats Unis, de l’autre. L’information de sa capture a perturbé ses partisans en Tunisie qui planifiaient des actes terroristes à l’occasion du jour de l’an, et elle a eu un impact positif sur la situation sécuritaire dans le pays. 

Quant à la Libye, les Américains sont dorénavant convaincus de l’implication de Ansar Charia dans le meurtre de leur ambassadeur à Benghazi et dans les événements de leur ambassade de Tunisie en septembre 2012. D’ailleurs, c’est ce qui explique le fait qu’ils aient inscrit son nom sur la liste du terrorisme mondial. Il s’agit là de questions touchant à leur sûreté nationale et qu’ils ne pourraient, donc, pas négliger. Il se peut que Abou Iyadh soit arrêté par des milices libyennes ou bien placé sous leur contrôle, et qu’il puisse être livré, ultérieurement, après que son organisation est poursuivie et qualifiée de terroriste.  

-Si Abou Iyadh était capturé, il serait livré à la Tunisie ou bien à d’autres parties, d’après vous ?

-Il est demandé par plusieurs pays dont les Etats Unis, ce qui rend les chances de sa livraison à la Tunisie très minimes. Cependant, il pourrait quitter la Libye à travers les frontières du sud mal gardées pour s’installer dans le Sahara africain pendant un certain temps. Je suis persuadé que serrer l’étau autour de Abou Iyadh et des leaders de Ansar Charia à Derna et Benghazi provoquera des dissidences au sein de ces courants entre les tenants du changement du nom  de l’organisation et la limitation de ses activités à la prêche et ceux qui s’attachent à l’action armée et au renforcement de  leur identification à Al Qaeda, et ce courant est majoritaire au sein de ces courants jihadistes dans le monde arabe. Je pense que les organisations de Ansar Charia vont entrer, prochainement, dans une phase de repli et que l’aile radicale va rejoindre directement Al Qaeda, et il se peut qu’on assiste, dans les jours qui viennent, à de nouvelles appellations de ces organisations avec de nouveaux agendas.  

-Quels sont les objectifs de la coordination tuniso-algéro-libyenne dans le domaine sécuritaire entreprise dernièrement ?

-Je crois que la reprise de cette coordination tourne autour de l’échange des informations à propos de l’emplacement de ces courants terroristes dans ces pays maghrébins, des CV  d’un nombre important des jihadistes ayant rejoint Ansar Charia après le printemps arabe et des objectifs proches et lointains des symboles de ce courant et leurs stratégies en Afrique.

-Par quoi expliquez-vous l’intérêt que prêtent les Etats Unis et la France à l’Afrique du Nord?  

-Cette concentration trouve son explication dans la grande importance qu’a l’Afrique, pour l’Europe et les EU, étant donné que ce continent est vierge au niveau des richesses minières et pétrolières. Cet intérêt s’est accru avec l’invasion chinoise grandissante qui continue depuis de longues années et aussi avec l’approche de la date d’épuisement des réserves pétrolières au Moyen Orient qui disparaîtront dans deux décennies et demie.

-L’Algérie a un grand rendez-vous au mois d’avril prochain avec les élections présidentielles, croyez-vous que la menace terroriste soit l’un des thèmes de la campagne électorale ?

-Je pense que les candidats sont face à deux questions majeures, les réformes politiques et économiques et les répercussions sécuritaires au Mali et à l’Afrique du Nord. Pour ce qui est des premières, il va sans dire que seuls les programmes les plus convaincants qui seront acceptés, vu le caractère vital de ces secteurs. Et face aux défis actuels, l’intérêt de l’Algérie réside dans des réformes profondes au niveau de la participation politique et dans le domaine de la presse ainsi que dans la lutte contre la corruption

Dans ce cadre, le procès fait aux hommes d’affaires constitue un avertissement pour tous ceux qui font l’objet de suspicion. La question sécuritaire jouira, également, d’une grande attention d’autant plus que les frontières de l’Algérie avec tous ses voisins connaissent une grande effervescence. Toutefois, elle a, dernièrement, réussi à faire accepter sa médiation entre le mouvement « Azawad » et le gouvernement central du Mali, ce qui aura des conséquences positives au niveau de la maîtrise de la sécurité au nord de ce pays et du renforcement de la lutte contre les terroristes qui pourraient revenir à cette région au cas où ils seraient encerclés en Libye et dans les autres pays du Sahel africain. C’est pourquoi il est dans l’intérêt de l’Algérie de participer à instaurer une stabilité sécuritaire au nord et ce en essayant de persuader le gouvernement central de la nécessité de respecter les droits culturels des habitants de cette région et d’améliorer leurs conditions de vie économique et sociale.

-Le phénomène des filles tunisiennes suicidaires en Iraq et sur les frontières syro-turques s’est propagé ces derniers jours. Faut-il y voir la détermination du courant jihadiste à entreprendre une guerre générale où il ferait participer des hommes et des femmes ?

-Je pense que l’intégration des filles tunisiennes dans ces opérations kamikazes constitue une imitation des filles suicidaires au sein du mouvement Hamas en Palestine. Ce qui est intéressant à savoir c’est que toutes les suicidaires tunisiennes, âgées entre vingt et vingt-quatre ans, ont subi un lavage de cerveau et que la plupart d’entre elles sont d’un niveau culturel très limité. Ajoutons à cela que certaines d’entres elles ont des liens familiaux avec des jihadistes. 

La présence de l’élément féministe tunisien dans ce domaine relate une fragilité à l’intérieur de ces catégories sociales dont on exploite la situation en la quasi absence du contrôle et de la vigilance de l’Etat et de la société civile. Le recrutement de jihadistes femmes a une signification politique et non pas religieux, parce que le jihad, d’après la religion, est exclusivement une affaire d’hommes, les femmes, elles, devraient se contenter de préparer le repas aux jihadistes et de prodiguer des soins aux blessés. Sa participation au jihad en Palestine est justifiée par certains chercheurs par le caractère général de la lutte contre la colonisation israélienne. Cependant, la présence de femmes jihadistes en dehors de ce pays est le produit d’exégèses qui sont exploités par des agendas politiques et partisans et non pas religieux.

-Quelle est la réalité des jihadistes européens ?

-C’est une vérité, et leur nombre dépasse les neuf cents. Ils sont éparpillés en Afrique du Nord et en Syrie, la plupart d’entre eux appartiennent à l’AQMI et à Ansar Charia. Le retour de ces jihadistes à leurs pays constitue un danger pour la sûreté nationale de ces derniers, eu regard aux compétences qu’ils ont acquises en matière de ceinture d’explosifs et les opérations suicidaires, d’une façon générale.  

-Comment devrait-on, à votre avis, traiter les jihadistes se trouvant actuellement à l’étranger et, notamment, en Syrie et qui s’apprêtent à rentrer ?

-Je pense qu’il y a environ trois mille jihadistes tunisiens à l’étranger répartis sur la Syrie, la Libye l’Iraq, l’Afghanistan et le Mali et même la Tchétchénie. Le plus grand nombre se trouve dans la région du Maghreb où leur présence est concentrée en Libye qui abriterait dans les deux mille, et en Syrie où ils seraient un millier. Ailleurs, leur nombre ne dépasserait pas les quelques dizaines. Ce qui est inquiétant c’est que ces jihadistes tunisiens agissent au sein des courants vouant loyauté à Al Qaeda tels que le front Al Nosra, Daâch, connus pour leur extrémisme et leur caractère sanguinaire. 

Le nouveau gouvernement devrait se préparer à leur retour d’autant plus que la poursuite de Ansar Charia en Libye aboutira tôt ou tard à l’expatriation des jihadistes tunisiens. Pour ce qui est de la Syrie, le démarrage de Genève 2 va, certainement, accélérer le retour de ces jihadistes. C’est pour toutes ces raisons que le gouvernement de Mehdi Jomâa devrait penser à la conception d’un programme de réhabilitation de ces jihadistes qui reviendront des champs de bataille syrien et iraquien et aussi libyen. Le programme en question devrait être exhaustif regroupant les dimensions sécuritaire, économique et idéologique, en ce sens qu’il faudrait procéder à des enquêtes autour des processus suivis par ces jihadistes, les armes avec lesquelles ils se sont entraînés et les opérations auxquelles ils ont participé. 

Ce programme devrait contenir des révisions idéologiques auxquelles ils seraient soumis avec la participation d’hommes de religion, de sociologues et de psychologues. il se dégagerait de ces révisions des textes insistant sur la nécessité de se départir de la violence et d’arrêter de s’attaquer au pouvoir en place, et un contrôle sécuritaire de ces jihadistes pour une période pour s’assurer qu’ils ne s’inscrivent pas encore une fois dans l’action jihadiste. Il faudrait, également, leur accorder des subventions pour leur permettre d’intégrer le circuit économique. Je suis persuadé que le gouvernement de M jomâa est capable, avec ses personnalités indépendantes, d’entamer ce programme qui se poursuivra, certainement, avec le gouvernement post-élections.

-Est-ce  que les pays frères et amis de la Tunisie pourraient lui prêter main forte en vue d’encercler le danger terroriste et de permettre à la démocratie tunisienne naissante de se bâtir sur des bases saines ?

-Je crois que la solution de ce problème épineux du terrorisme reste du ressort des Tunisiens et ce à travers l’ouverture de canaux d’un vrai dialogue et le programme dont on a parlé plus haut. Cependant, l’extirper depuis ses racines est un travail difficile à entreprendre tout seul ; pour venir à bout de ce terrorisme, il faut qu’il y ait une coopération à l’échelle maghrébine, arabe et internationale, que ce soit au niveau de la coordination sécuritaire, de l’échange des renseignements, ou bien dans les domaines économiques et sociales. Et dans ce cadre, je crois que le plan Marshall algérien pour la Tunisie sera le plus approprié et le plus efficace pour lutter contre ce fléau du terrorisme.  

Ce plan profite aux Tunisiens et aux Algériens sur le plan économique et sécuritaire. Les pays amis pourraient aussi participer par des investissements variés et l’organisation d’ateliers pour la gouvernance et les moyens préventifs contre le danger terroriste. Concernant les pays du Golfe, on pourrait ouvrir une nouvelle page avec eux après une révision radicale de notre politique étrangère dans le sens d’un réchauffement de nos rapports tiédis avec l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes et l’Egypte

Il s’agit là d’une tâche qui reste possible pour le nouveau gouvernement qui devrait s’éloigner de tout ce qui est de nature à envenimer nos relations avec ces pays, en premier lieu, se pose la question relative à la manière de traiter le dossier des frères musulmans en Egypte. A ce propos, je pense qu’accorder le refuge politique à des éléments appartenant à cette organisation provoqueraient des difficultés énormes à la Tunisie. 

La stabilisation de la situation sécuritaire, l’instauration d’institutions démocratiques à travers des élections transparentes, la réalisation d’une vraie réforme fiscale et la mise en place d’un enseignement de qualité et d’une modernité effective feront de la Tunisie la Suisse des Arabes. Le résultat direct d’une telle politique c’est l’éloignement du spectre du terrorisme de notre pays et peut-être de ceux qui l’entourent, ce qui pourrait constituer une plateforme pour reconstruire l’entité maghrébine qui serait, cette fois-ci, celle des gouvernements et des peuples. La réussite de la lutte contre le terrorisme au niveau du Maghreb pourrait donner l’espoir d’éradiquer ce phénomène à l’échelle arabe.

Le Temps 26 janvier 2014 (quotidien Tunisien indépendant)
Faouzi KSIBI

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